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ROCK BELGE / ALBUM SOUVENIRS

L E E (1972 - 1973)

PREMIÈRE PARTIE : LEE EN BELGIQUE

Biographie officielle réalisée par Jean Jième

 

Victor Tedeschi, Dany Lademacher, Charlie Maker, Roger Wollaert

et Mick Fowler © Erik Machielsen

 

 

 

Peu de personnes ont eu l'occasion d'assister à un concert de Lee en Belgique. Et pourtant en se produisant en novembre 1973 sur la scène de Forest National en supporting act de Slade, ils ont été acclamés par huit mille spectateurs en une seule soirée. Lorsque l'on apprend qu'ils ont interprété Jumpin' jack flash devant Keith Richards, dans sa discothèque, le Midnight Rambler, à Genève, on se dit que ce n'est pas courant.

 

Enfin lorsqu'on réalise qu'ils ont dépassé en succès les New-York Dolls au cours de trois concerts dans des salles combles, on se demande pourquoi Lee est resté si peu connu chez nous. D'autant plus que les musiciens concernés s'appellent Dany Lademacher, Charlie Maker, Roger Wollaert, ex-Kleptomania et Mick Fowler, ex-guitariste des Grapefruit, produit par George Harrison.

 

Mais avec Lee on n'en est pas à une contradiction près. De super musiciens, quatre personnalités avec un look d'enfer, mais également tributaires d'une époque charnière où les embûches, galères, arnaques et incompétences en tous genres réduisaient souvent à néant les projets les plus enthousiastes et finissaient par avoir raison de l'endurance des plus acharnés. Sous l'angle professionnel (management et conduite de leur carrière), Lee a souffert de cruels manquements. Si j'ai passé autant de temps à collecter des informations pour tenter de reconstituer l'histoire de ce groupe qui aurait pu prétendre au vedettariat, c'est parce que je fus à la source de sa création.

 

Jean Jième.

 

Lee avec Mick FowlerDany, Charlie, Mick et Roger

 

 

KLEPTOMANIA ÉGARÉ DANS LA NATURE

 

Klepto 1974

Kleptomania

 

Bruxelles  été 1972. Cela va faire plus de huit mois que Kleptomania a splitté. Dany Lademacher et Roger Wollaert se produisent sur scène, de gauche à droite, dans divers groupes, sans jamais y rester bien longtemps. C'est une période de dèche. Pendant quelque temps, on dit même que Dany vend des cours d'informatique pour le compte d'IBM. Quant à Charlie Maker, il a repris son boulot de barman aux Gémeaux. Le plus « chanceux »  reste sans doute Wim Hombergen qui continue à trimbaler sa voix et sa guitare dans nombre de clubs de Berlin.

 

ARMAND MASSAUX CROISE LA ROUTE DE ROGER WOLLAERT

 

Cela fait plusieurs semaines qu'Armand Massaux, ex-guitariste d'un des tout premier groupe de rock belge, les  Night Rockers  est en pourparlers avec Jean Jième et Paul André, patrons de l'Agence Century. Armand a composé  Hello Sally, une chanson 100 % rock qu'il interprète avec son swing habituel.

 

Son but : passer à la phase d'enregistrement. Il compte sur les deux compères pour obtenir un coup de pouce dans ses démarches. Jième et Paul croient en ce morceau. De concert, ils se mettent en quête d'une firme de disques. A la même époque, Roger Wollaert, lors d'une petite virée en ville, tombe sur Armand Massaux dans une boite de la porte de Namur. Les deux musiciens se sont souvent croisés sans jamais se parler. Mais l'un et l'autre s'estiment. Très vite, ils sympathisent et décident de finir la soirée rue de Stassart en face d'un spaghetti. Après quelques bières, Armand arrive à persuader Roger de l'accompagner à la batterie sur  Hello Sally.

 


Armand Massaux

 

Et quelques autres verres plus tard, les deux nouveaux copains envisagent même la perspective de former un nouveau groupe. Dès le lendemain de cette bouillante discussion, Roger s'en va trouver Charlie aux Gémeaux et lui met le deal en mains. Charlie brûle également de reprendre du service. Il ne lui faut pas longtemps pour marcher dans la nouvelle combine. Pour prouver sa détermination, quelques jours plus tard, il se rachète un nouveau matériel.

 

Armand s'en revient trouver J. Jième et lui annonce fièrement qu'il va reformer un band avec deux anciens du Kleptomania. Voilà qui n'est pas sans l'intéresser.

 

Car depuis qu'il n'est plus le manager des Shakespeares, Jième rêve de se retrouver à la tête d'un groupe charismatique. Ses origines de cinéaste y sont pour quelque chose. Il sait ce qu'est qu'un casting. Il a toujours considéré que les gars du Kleptomania avaient un look et une dégaine de vraies rock stars.

Il se dit que si Charlie et Roger se retrouvent, il y a toutes les raisons d'espérer que Dany courre les rejoindre.

 

Les Night Rockers

Au centre: Armand Massaux du temps des Night Rockers

 

Roger Wollaert © J.Jieme

 

Certes, Armand, plus âgé que les autres, plus torturé aussi, n'a pas leur dégaine. Mais c'est une pointure. En tant que guitariste des Night Rockers, il a, avant tout le monde, connu le succès à Paris au Golf Drouot et à l'Olympia, au Twenty Club à Mouscron, au Rocking Center à Bruxelles et dans nombre de dancings de Hambourg. Armand pourrait bien servir de détonateur, susceptible de faire exploser la flamme artistique des anciens du Kleptomania, parfois un peu trop enfermés dans leur bulle musicale.

 

Rendez-vous est pris à l'agence Century pour une réunion générale à laquelle sont conviés tous les protagonistes du nouveau projet. A l'ordre du jour : les modalités pratiques pour l'enregistrement de  Hello Sally , un planning de répétitions réparti sur trois mois et, point crucial, le choix du futur répertoire.

 

Roger met à disposition du groupe un local spécialement aménagé dans la maison de ses parents. Armand définit la ligne musicale qu'il aimerait emprunter.

 

Après concertation, Dany, Roger et Charlie se disent prêts à se lancer dans un répertoire plus classic rock que du temps de Kleptomania. Car avec Massaux, pas question de se lancer dans du Free ou du Led Zeppelin. Pour la première fois de son histoire, les ex du Klepto acceptent de jouer une carte plus commerciale, que beaucoup attendent.

 

En fin de discussion, Jean Jième aborde le délicat sujet du management. En effet, c'est Wilfried Britts qui a découvert Kleptomania. Sans lui, le groupe n'aurait peut-être jamais démarré ni sans doute connu un si remarquable début de carrière.

 

Britts reste donc en quelque sorte leur père spirituel. Jième entend continuer à entretenir des relations professionnelles cordiales avec lui. Mais il semble que les musiciens aient provisoirement besoin de couper le cordon ombilical et ainsi de laisser respirer le père. Armand fonde de gros espoirs sur  Hello Sally.

 

Il entend mettre toutes les chances de son côté. Il s'aperçoit que le morceau sonnerait mieux s'il était soutenu par un clavier. Roger évoque le nom de Patrick Gysen, leur ancien organiste. Recontacté, Patrick n'hésite pas à se joindre une nouvelle fois à ses anciens copains.

 

Et dès le départ, les répétitions se déroulent dans une ambiance de bonne humeur et de franche camaraderie.

 

Tandis que juillet puis août 1972 s'égrène tranquillement, le groupe se prépare pour une fracassante rentrée. Qui débute par l'enregistrement au studio DES, rue aux fleurs, de  Hello Sally. Sont présents à la session : Roger, Charlie, Armand et Patrick Gysen.

 

 

 

Charlie Maker, Armand Massaux, Patrick Gysen © J.Jieme

 

Armand Massaux et Patrick Gysen © J.Jieme

 

 

Armand Massaux, Charlie Maker, Paul André, en arrière plan. © J.Jieme

 

Le disque sort sous le nom de Clint Silver, produit par Paul André.

 

Malgré une énergie folle, des interviews dans les principales émissions de la RTB, des contacts à Paris, Hello Sally  a du mal à décoller. La faute au manque criant de promo de la part de la firme de disques et du peu de dynamisme des réseaux de distribution.

 

Lors d'une réunion organisée à l'initiative de leur manager, les musiciens se rendent compte que  Hello Sally  ne fera pas carrière.

 

Ils décident malgré tout de continuer un petit bout de chemin ensemble. Pour mieux se fédérer, il leur faut un nom, qu'ils n'ont toujours pas trouvé car ils n'ont même pas cherché.

Hello Sally Clint Silver rock belge

 

 

 

LEE

 

J. Jième leur demande de se creuser la cervelle et de faire des propositions. Chacun y va de ses suggestions. Des dizaines de noms circulent sans séduire personne. Jième voudrait un nom qui claque, qui soit facile à retenir. C'est alors qu'il surprend Charlie à crier « Lee, au pied, couchez » ! Lee est un magnifique berger Tervueren que le groupe vient d'adopter et qui a jeté son dévolu sur Charlie qui adore les animaux. Lee sonne bien, c'est court et puis difficile de se tromper dans l'orthographe. A l'unanimité, le nom de Lee est adopté.

 

PATRICK GYSEN QUITTE LA SCÈNE

 

Patrick Guzse

Patrick Gysen © J.Jieme

 

Quelques jours plus tard, survient un événement épouvantable. Sur une route secondaire, lors d'une manœuvre maladroite d'un conducteur de machine agricole, Patrick Gysen perd le contrôle de son véhicule et le percute de plein fouet. Il est tué sur le coup.

 

Lorsqu'il évoque le souvenir de ce musicien talentueux fauché en pleine jeunesse, Roger Wollaert se rappelle combien il a été frappé par la foule considérable d'amis venus se recueillir autour de sa dépouille. Paul André disait récemment encore combien il avait été impressionné par ses qualités de compositeur.

 

ARRIVÉE DE CHRISTIAN DUPONCHEEL

 

 

Après le choc de cette brutale disparition, les musiciens ressentent le besoin de remplir le vide cruel laissé par le départ de Patrick. Quelques jours plus tard, ils contactent Christian Duponcheel, ex-organiste de Lagger blues machine, en disponibilité.

 

L'ambiance n'est plus à la joie. Patrick a rejoint le ciel, Armand Massaux a le vague à l'âme. En réalité, il s'en fait énormément pour Hello Sally. Sans doute a-t-il le sentiment que ce disque représente un tournant dans sa carrière? De son côté, Christian Duponcheel, à peine débarqué au sein du quatuor, se sent un peu perdu. Il cherche ses marques.

 

NOUVEAU DÉPART

 

Les trois autres musiciens essaient de faire bonne figure, de détendre l'atmosphère. Pour réunifier le groupe, Jième les convoque pour réaliser un reportage photo. Il les réunit rue des pensées, en face de l'agence Century. Chaque musicien semble déjà pressentir que les jours du groupe sont comptés, du moins dans sa formule actuelle. Cela se sent sur chacune des photos. Malgré beaucoup d'efforts, Jième n'arrive pas à extirper le moindre sourire de la part d'Armand.

 

Lee Rock belge 1972

Lee © J.Jieme

 

Lee Rock belge 1972

Lee © J.Jieme

 

Lee Rock belge 1972

Lee © J.Jieme

 

Les répétitions s'en ressentent. Ce groupe pour le moins hétéroclite, car constitué de musiciens venus d'horizons totalement différents, avait-il sa chance d'exister ? Aurait-il pu se distinguer, faire carrière ? On ne le saura jamais. Au bout de quelques jours, Dany, Roger et Charlie viennent trouver leur manager pour lui expliquer qu'il devient difficile de poursuivre les répétitions avec Armand.

 

Armand Massaux sent que l'aventure est déjà terminée © J.Jieme

 

 

 

LA SÉPARATION

 

Sur le plan musical, conceptions et avis divergent de plus en plus. Les musiciens s'appuient également sur le fait que son caractère alterne entre accès de colère et déprime. On peut sans doute supputer qu'Armand était entré dans une période de mini dépression ou tout simplement de ras-le-bol.

 

La situation est délicate. Remballer Armand c'est l'enfoncer encore un peu plus dans son marasme. Personne ne le souhaite. Pourtant, il faut que quelqu'un se charge de lui parler. Qui est le mieux placé pour le faire ? Charlie, le temporisateur, courageusement, accepte de se charger de cette mission délicate.

 

Lee Rock belge 1972

 

Le lendemain, lors de sa visite au siège de Century, J. Jième console Armand en lui rappelant qu'il n'a pas été viré. Pour la simple et bonne raison que le groupe n'a jamais démarré. De plus, n'a-t-il pas obtenu ce qu'il souhaitait le plus ? C'est-à-dire enregistrer son 45 tours avec des musiciens hors pair ?

 

 

Au fur et à mesure de la discussion, Armand reprend du poil de la bête. En effet, Jième a sa petite idée. Il connaît un homme d'affaires qui souhaiterait faire partie du monde du show-business et qui serait prêt à y investir de l'argent.

 

Jième va persuader Serge S. de l'intérêt de trouver des partenariats à l'étranger pour Hello Sally, qui reste un très bon titre. Pourquoi ne pas aller le présenter à Paris ou dans d'autres capitales ? Pourquoi ne pas rechercher une collaboration avec une firme de disque internationale ?

 

Décidé à donner le coup de pouce décisif, Jième file sur Paris retrouver Patrick Taton, directeur artistique chez Philips. Il lui fait écouter le morceau. Tout de suite, Patrick se montre intéressé. Il se déclare prêt à remixer la bande originale, voire à la réenregistrer avec des musiciens de studio.

 

De retour à Bruxelles, les choses prennent tournure. Jième qui n'a nullement l'intention de cumuler son rôle de manager avec celui de producteur organise une rencontre entre Armand Massaux et Serge S.

Les deux compères signent un contrat de production sur base de  Hello Sally  et d'éventuels titres ultérieurs. Désormais, Armand dispose d'un appui inespéré en la personne de cet homme d'affaires, certes peu qualifié sur le plan artistique mais fermement disposé à mettre le paquet pour se faire un nom dans le métier.

 

Pendant ce temps, privé d'Armand, Lee se retrouve sans guitariste, sans véritable chanteur et sans …organiste. En effet Christian Duponcheel n'a pas survécu à la grande lessive.

 

 

 

MICK FOWLER, EX-GRAPEFRUIT

 

Désormais, si Lee veut avoir la moindre chance d'enfin exister, il lui faut d'urgence un quatrième homme. Une fois de plus, Jième va sauver la mise. En tant qu'ancien manager des Shakespeares, devenus Fynn Mc Cool, il a gardé des contacts privilégiés avec les musiciens et notamment avec le flamboyant Mick Fowler.

 

Né à Londres, sous le signe du Lion, beau gosse, le regard perçant, le sourire ravageur, c'est un tombeur (qui s'ignore). Mais c'est surtout un bon guitariste, un bon claviériste et un excellent chanteur. Avant de rejoindre les Fynn Mc Cool, Mick a appartenu quelques mois (1969) au Grapefruit, patronné par Apple records, la firme des Beatles. Groupe dans lequel on retrouvait George Alexander, Pete et Geoffrey Swettenham et John Perry

 

Bio : http://www.mickfowlerproductions.com/mick-fowler-bio/

 

Jième apprend par la bande que Fynn Mc Cool est en train de battre de l'aile. Il se renseigne aussitôt auprès de ses anciens potes. C'est vrai, le groupe a décidé de prendre un peu de recul. Ce qui, en langage de musiciens, signifie qu'ils sont en train de se séparer.

 

Mick Fowler

 

 

Alors Jième, qui n'a jamais abandonné l'idée de créer un super  good looking group, appelle Mick Fowler et lui propose de rencontrer Dany, Roger et Charlie à Bruxelles. C'est le moment ou jamais de tenter cette expérience qui le taraude depuis si longtemps : rivaliser avec les groupes anglais sous un angle triple : virtuosité musicale, présence et charme.

 

Lorsque Mick débarque quelques jours plus tard de Londres, il assiste à une répétition. Très vite les talents de soliste de Dany Lademacher épate l'anglais tout comme le savoir-faire des deux autres qui se donnent à fond derrière leur basse et leur batterie. Mick Fowler est convaincu qu'il s'entendra bien avec le trio. C'est reparti pour une nouvelle donne.

 

Mais Jean Jième ne pourra pas mener son projet à terme. Un événement familial grave va le contraindre à renoncer provisoirement à s'occuper de Lee. De plus, il s'en rend bien compte Lee est un groupe qui va exiger de plus en plus d'attention et surtout des moyens financiers.

 

Paul André, de son côté, part sillonner la France et la Suisse dans le but de trouver des contrats pour Lee, qui ne peut pas rester sans travailler.

 

Pendant ce temps, Jième entame une phase de négociation avec Serge S., qui depuis qu'il est devenu producteur d'Armand Massaux, prend son rôle très au sérieux.

 

Il explique que ses contacts avec Philips Paris et RCA Rome pour une sortie franco-italienne de Hello Sally sont dans l'impasse. Les deux firmes internationales jouent le même jeu : l'obliger à abandonner une grande partie de ses droits de producteur sous le prétexte que le disque doit être complètement réenregistré et donc remixé. Ce qui n'est nullement nécessaire.

 

Mais cette manœuvre permet ainsi aux majors de devenir les nouveaux producteurs et donc d'empocher le pactole en cas de succès.

 

Jième suggère à Serge S. de reprendre le management de Lee. Après discussion avec les membres du groupe, il lui transmet leur liste des revendications. Mick Fowler exige de remplacer les amplis Marshall par un tout nouveau matériel d'amplifications guitares et micros, de marque Orange.

 

Le groupe réclame également la garantie de sortir au moins deux 45 tours endéans les six mois. Sans compter l'acquisition d'un nouveau van et du renouvellement de leurs tenues de scène.

 

Après plusieurs semaines d'âpres négociations, dues à l'importance de l'investissement, Serge S. finit par signer avec les musiciens.

 

 

Lire : Deuxième partie : LEE À L'INTERNATIONAL